En 2024, près d’une entreprise française sur deux a subi une cyberattaque majeure, et dans 60 % des cas, tout a commencé par un simple mail ou appel frauduleux. Derrière chaque clic, chaque voix clonée, l’ingénierie sociale exploite nos failles humaines pour contourner les défenses les plus sophistiquées. Phishing, deepfake, usurpation d’identité : la menace s’est industrialisée, ciblant aussi bien les PME que les grands groupes. Face à des attaques qui coûtent parfois la survie de l’entreprise, une question s’impose : sommes-nous vraiment préparés à reconnaître la manipulation avant qu’il ne soit trop tard ?

L’ingénierie sociale : explication et personnes concernées

Tout d’abord de quoi parle-t-on ? L’ingénierie sociale consiste à manipuler une personne pour qu’elle réalise une action au profit du fraudeur, souvent à son insu. Si le phénomène n’est pas nouveau, il touche aujourd’hui tout le monde : entreprises de toute taille et de tout secteur et individus de tout âge et de tout milieu social.

Contrairement à une idée reçue, les victimes ne sont pas seulement personnes âgées peu familières des technologies ou des jeunes trop naïfs pour démasquer la supercherie. Souvent c’est plutôt le contexte dans lequel se trouve la personne au moment où le fraudeur l’approche qui s’avère être un facteur clé de vulnérabilité. La vigilance devrait donc être constante, mais est-ce réaliste ?

Les moyens de communications et les sollicitations qui vont avec sont désormais si ancrés dans nos vies qu’il devient très difficile distinguer le vrai du faux. D’autant plus que les fraudeurs sont devenus maîtres dans l’art de rendre leurs sollicitations crédibles. Tentons maintenant d’expliquer l’ampleur prise par ce phénomène.

Les données personnelles : une mine d’or pour les fraudeurs

Pour rendre toute tentative de manipulation la plus crédible possible, la possession d’informations sur les cibles potentielles s’avère un atout de poids. Les fuites de données sont désormais quotidiennes et facilitent grandement cette collecte. Il est plus facile de nommer les entreprises qui ont déjà été victimes de ces vols de données que celles qui ne l’ont pas (encore) été. Les bases en vente sur le dark web sont donc légions et souvent proposées à l’achat pour un prix dérisoire. L’ingénierie sociale devient alors la passerelle entre cyberattaque et fraude.

Parfois la tâche s’avère encore plus facile pour le fraudeur et se réduit à consulter les informations partagées par la cible elle-même sur le web (photos de soirées, géolocalisation, selfies avec documents d’identité, etc.). Celles-ci sont facilement exploitables pour mener à bien une attaque par manipulation. L’utilisation massive des réseaux sociaux joue ainsi un rôle important dans la sélection des cibles et le développement de l’ingénierie sociale.

Et si ces sources de données sont insuffisantes, une attaque cyber visant la personne cible ou son entourage constitue une alternative. Une fois les données récoltées, la machine infernale de l’ingénierie sociale et de la fraude est lancée :  ton professionnel, discours rodé et informations personnelles à disposition. Étudions à présent les scénarios illustrant les avantages que les fraudeurs tirent de l’ingénierie sociale.

Les fraudes associées et leurs conséquences

Dans quels buts les fraudeurs exploitent-il l’ingénierie sociale ? La première possibilité pour le fraudeur consiste à obtenir de la victime davantage d’informations sensibles telles que son numéro de carte bancaire et le code associé pour effectuer des achats en ligne. En s’appuyant sur un sentiment d’urgence, le fraudeur peut aller plus loin et tenter de persuader la victime de remettre sa carte à un prétendu coursier. Il pourra alors faire plusieurs achats ou retraits avant que la fraude ne soit détectée.

Les données personnelles récoltées peuvent également être revendues pour être exploitées pour des fraudes par usurpation d’identité. La victime peut alors vite se retrouver avec de multiples comptes bancaires ouverts et plusieurs crédits contractés en son nom.

Un autre schéma consiste à manipuler la personne ciblée pour l’inciter à réaliser elle-même des opérations via son application bancaire, comme valider des opérations frauduleuses d’achat en ligne ou des virements à destination du fraudeur ou de ses complices appelés mules financières. Celles-ci servent à faire transiter les fonds entre plusieurs comptes pour complexifier le traçage des fonds dérobés. La généralisation des virements instantanés dans la zone SEPA complique encore la détection de ces fraudes.

Les conséquences pour les victimes d’ingénierie sociale sont à la fois financières et psychologiques. Le sentiment d’avoir été dupé, combiné à la fuite de données personnelles immuables (nom, prénom, date et lieu de naissance) est particulièrement terrifiant. Une fois dérobées, ces données ne peuvent, en effet, plus vraiment être récupérées.

Face à ce phénomène, les institutions financières cherchent des solutions, mais les systèmes de surveillance traditionnels montrent leurs limites. L’Intelligence Artificielle (IA) : apparaît comme un levier de défense à ne pas négliger, même si, comme nous le verrons, elle bénéficie aussi aux fraudeurs.

L’Intelligence Artificielle (IA) : alliée ou ennemie ?

Comme souvent avec l’émergence de nouvelles technologies, les individus mal intentionnés ont été les premiers à se saisir des opportunités offertes par l’IA générative. La rapidité d’innovation criminelle dépasse ici la capacité d’adaptation des défenses. Il est clairement plus facile pour un individu d’exploiter une nouvelle technologie de façon unitaire que de l’intégrer au sein de l’écosystème informatique (généralement déjà complexe) d’un établissement bancaire.

Dans le cadre de l’ingénierie sociale, l’IA reste pour l’instant un outil parmi d’autres. Elle facilite la création d’identités synthétiques, le clonage de voix ou la simulation d’apparences physiques pour manipuler une cible. Mais souvent, les fraudeurs n’ont même pas besoin de ce niveau de sophistication : si tous les ingrédients sont déjà présents, pourquoi en ajouter ?

L’IA représente également un atout majeur pour les systèmes de défense. Elle permet de bâtir des systèmes anti-fraude plus adaptatifs face à des menaces multiformes et évolutives. Les dispositifs statiques actuels génèrent souvent trop d’alertes peu pertinentes. En exploitant profondeur de données historiques importante et une approche comportementale, l’IA améliore la détection précoce de signaux faibles, réduit les faux positifs et étend la couverture des risques.

En guise de conclusion, étudions de façon plus générale la trajectoire de transformation nécessaire des banques afin de renforcer leurs dispositifs de lutte anti-fraude.

Repenser la lutte contre la fraude : organisation, technologie, culture et coopération

Le constat est clair : l’humain reste le maillon faible des schémas de fraude décrits jusqu’ici. Malgré une forte médiatisation, la situation semble stagner, traduisant une certaine impuissance générale. Repenser la lutte contre la fraude est donc indispensable, non pas remettre en cause l’ensemble des pratiques existantes mais pour les renforcer. La veille et la sensibilisation régulière des clients, collaborateurs et partenaires demeurent essentielles. L’humain constitue une première ligne de défense indispensable, mais insuffisante.

Lorsque le client tombe dans le piège, les institutions financières doivent établir la seconde ligne de défense. Comme l’ingénierie sociale se situe à la croisée des chemins entre cyberattaque et fraude, la coopération entre les équipes cybersécurité et lutte anti-fraude, pour croiser les signaux faibles est un levier encore trop peu exploité.

Au-delà des équipes internes, la coopération avec les autorités (notamment l’ACPR) et les autres institutions financières représente un autre axe d’amélioration. Comme l’ingénierie sociale touche toutes les institutions financières sans exception, la mise en œuvre d’un registre d’identités et de comptes de fraudeurs serait une manière de mettre en œuvre cette coopération. Les autorités joueraient alors le rôle de tiers de confiance pour orchestrer cette mise en œuvre. Cela n’éradiquerait pas la fraude mais limiterait la propagation d’une même fraude au sein de l’écosystème bancaire.

Enfin la technologie demeure un pilier essentiel. L’IA, déjà évoquée pour la détection, peut également agir comme un bouclier adaptatif. En analysant en continu les flux de données (comportements clients, transactions, interactions digitales) elle permet d’identifier les signaux faibles pour offrir une vision dynamique du risque. Son efficacité dépend cependant de son intégration dans un écosystème cohérent, où outils et décision humaine se complètent.

L’ingénierie sociale est aujourd’hui le principal défi de la lutte anti-fraude, révélant la vulnérabilité du facteur humain face à des attaques de plus en plus sophistiquées. Si la technologie, et notamment l’intelligence artificielle, renforce la détection et la prévention, la résilience repose avant tout sur une mobilisation collective : sensibilisation des collaborateurs et clients, coopération interne et externe, partage d’informations et veille constante.

En combinant innovation technologique, vigilance et intelligence collective, les organisations peuvent limiter l’impact des fraudes et protéger durablement leurs actifs et leur réputation.

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